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"I'll tell you all my secrets but I'll lie about my past."
15 novembre 2015

Brouillard

Nuit de novembre. Que tout le monde aurait trouvé sinistre, en temps normal. Oui mais voilà, un brouillard d'une épaisseur pesante s'est abbatu sur la ville. Les révérbères se succédent, dans une perspective parfaite, premier plan, second plan, arrière plan. L'ampoule du premier brille de mille éclats, presque nette, inquisitratice, écrasante de lumière. Le second diffuse des rayons jaunâtres un peu dilués, comme de la gouache dans de l'eau ; sa luminescence se montre par des micro particules de soleil qui forment un dégradé voluptueux autour de l'ampoule. A l'arrière-plan, plus rien n'existe. La lumière des réverbères est aussi pâle que la vie d'une luciole, et on la confond volontiers avec les phares d'une voiture égarée ou les feux de signalisation. Lointaine, timide et disrète, et pourtant, plus on la fixe, plus on s'aperçoit qu'elle devient premier plan, éclatante de vérité. La magie d'une promenade nocture. Il n'y a que le brouillard qui nous montre qu'on avance, car sans lui on ne peut faire la différence entre ce qui est près ou loin. Grâce à lui, on voit distinctement le lointain glauque et menaçant devenir connu et réconfortant.
Et au fur à mesure que les réverbères allongent mon ombre sur l'asphalte, je devine une présence prête à surgir du coin de chaque rue. Et soudainement, arrivant d'une ruelle discrète et impromptue, je vois son ombre se dessiner dans la brume. Longue silhouette inquiétante, surmontée d'un chapeau, les flancs flottant dans un manteau d'épouvantail, il s'avance. Je le vois au loin dans le brouillard, les contrastes effacés en filigrane, estompé dans le décor comme un coup de chiffon sur une esquisse, et petit à petit, la noirceur de sa silhouette s'assombrit, et il devient gigantesque en s'approchant, de plus en plus noir profond, et d'un seul coup le réverbère le plus proche éclaire son visage. Ses yeux bleus remplis d'un impétueux océan, fixés sur l'horizon derrière moi. Sa bouche, fine et délicate, mais fermée sur une rigueur et une détermination imposante. Son visage. Son visage... fin et si masculin malgré tout. Il s'approche, ses yeux se tournent vers moi, dans un reflexe incontrôlé. S'éloignent puis reviennent sur moi. Je me sens transpercée de toute part, son regard me poignarde, j'ai les mains moites et le coeur qui s'emballe, il est vraiment là. Chamboulée et déstabilisée, obéissant à une force qui me dépasse mais me murmure de ne pas passer mon chemin, je ralentis, les yeux et le corps entier fixé sur lui. Il ralentit, ne me quitte pas des yeux. Il s'est passé deux secondes qui m'ont semblé une éternité, que j'ai l'impression de n'avoir pas vraiment vécu, et tout d'un coup je me rends compte que ça fait probablement une ou deux minutes que nous sommes arrêtés l'un face à l'autre. Et mon corps, ce salaud, esquisse un geste que je me vois accomplir sans même m'en rendre compte. Un pas en avant, ma main se tend, j'effleure sa joue, sa nuque, et l'attire vers moi. Sa bouche se fait docile et entreprenante, il m'embrasse tranquillement, comme si nos deux vies respectives, nos expériences, nos histoires d'amour, nos déceptions, nos créations, n'avaient été que les prémices évidents à ce baiser, comme si ça allait de soi, comme une énorme majuscule au début d'un conte de fées. Ses lèvres sont chaudes, rassurantes par leur présence si attendue, et tellement inquiétantes à la fois, parce que pour la première fois je vois à quel point le futur est incertain, bancal et sournois. Il n'y a que maintenant. Enfin, après une éternité beaucoup trop courte, nos bouches se détachent dans un dernier élan de chaleur, et nos regards se cognent brutalement, dans une violence innommable par sa proximité. Il est l'élément le plus net, le plus contrasté, le plus réel, de toute cette nuit de brouillard qui m'encercle. Et je prends conscience de l'ironie de la chose. Cet homme que je ne connais pas, fait partie de ma vie plus que quiconque à ce moment précis, et aussi tôt qu'il s'éloignera, il se fondra de nouveau dans le brouillard de l'inconnu. 
Elle est là la beauté de la nuit brumeuse. A ce moment précis, à cette seconde, nous avons été l'un pour l'autre plus vrai et plus réel que tout ce qui nous entourait.

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