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"I'll tell you all my secrets but I'll lie about my past."
6 juillet 2016

L'art et l'enfant

Quand on était enfant, on dessinait des tas de paysages et de visages sur des feuilles volantes, sur des carnets, sur les murs. On coloriait des albums, on collait des images et toutes autres substances palpables sur n'importe quel support qu'on trouvait. On s'essayait même à écrire en lettres d'écolier, avec une tendre grimace de concentration, des poèmes constellés de mots d'amour un peu mièvres, et des histoires pleines de créatures fantastiques. On ne connaissait pas le syndrôme de la page blanche. On ne recommençait pas cent fois le même dessin avant de satisfaire un client. On avait pas la prétention absurde de créer une oeuvre d'art à chaque fois qu'on attrapait un stylo bille ou un feutre usé. On passait pas des jours à tourner autour du même projet, en se demandant comment tirer profit de ces moments d'inspiration innocente, comment se faire de l'argent dessus, comment le vendre aux clients, comment gagner la reconnaissance des autres, et atteindre gloire et admiration. Et pourtant on arrêtait pas de créer. Du moche, du beau, des trucs que les parents regardaient avec embarras avant de les oublier au fond d'un tiroir, ou d'autres que les profs affichaient fièrement sur les murs de la classe, peu nous importait. Il n'y avait aucun but dans ces créations, simplement l'expression la plus pure, la plus instinctive et animale, d'un besoin viscéral d'extirper de nous-mêmes, petits êtres humains en herbe, un peu d'énergie salvatrice et transcendante. Pourquoi donc à votre avis les parents nous jetaient des crayons et des feuilles en soupirant, après qu'on les ait fait courir dehors toute la journée ? Ils se rendaient compte, à leur niveau d'adultes conditionnés, que c'était le seul moyen de nous canaliser, de calmer ce surplus d'énergie vitale et de le laisser s'extérioriser de manière saine et naturelle. Elle est là, pour moi, toute l'essence de l'art. Et je comprends enfin, après des années à avoir essayé de jouer à l'adulte, pourquoi je passe autant de temps à penser à mes prochaines oeuvres, sans presque jamais les réaliser. Pourquoi, quand j'arrive en à concrétiser une, j'ai ce besoin irrépressible de l'exposer aux yeux du monde. Au fond je ne suis jamais satisfaite de ce que je créé, car je passe trop de temps à imaginer mes créations, à les sacriliser. Et quand je me lance enfin, toute l'énergie vitale qui devrait donner naissance à une création artistique s'est déjà envolée, dans un futur imaginaire que je m'efforçais de croire prochain. Alors je cherche l'aval des autres. Qu'on me dise que non, c'était pas du gâchis de faire tout ça (du gâchis, encore cette notion d'utilité et de profit). Mes oeuvres d'art (et je suis loin d'être la seule) ne sont que le produit de mon enfance morte et frustrée, de mon imagination bridée par l'envie qu'on nous a inculqué de se faire du fric sur tout et n'importe quoi.
Heureusement pour moi, et pour tous les artistes comme moi, brimés par leur éducation et leur bêtise, rien n'est perdu. Je crois qu'il suffit d'avoir cette prise de conscience, pour accepter de ne plus chercher à faire des choses utiles, mercantiles, profitables. Ne plus essayer de gagner de l'argent grâce à l'art. Car si on est fait pour l'art, on en vivra tout naturellement, gratuitement. Si on a plus à se poser la question de à qui va plaire ceci, comment faire connaître cela, alors on peut de nouveau créer spontanément, comme des enfants. Et si l'on meurt alors que toutes ces choses (et non plus ces "oeuvres d'art" pompeuses) sont toujours enfermées dans un coffre que personne n'a jamais ouvert, on ne le regrettera pas ; car leur raison d'être réside seulement dans le fait d'être créées à un moment T. C'est tout.

Tom + barbecue-7

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