Je tue ils.

Je serre les dents et la machoîre quand je marche dans la rue. Je sens la violence de mon regard fusiller toutes ces raisons de ne pas vivre que je croise, partout. La mère de famille énervée qui gueule sur ses mômes. Le vieil alcoolique pendu à nos chevilles et à sa bouteille, les yeux remplis de larmes. Le sourire hypocrite de la roumaine qui m'aggripe le bras. Le prix du pain congelé. La frustration dans les yeux de l'épicier, qui me toise comme si c'était de ma faute à moi, si sa vie part en sucette. Les jeunes cons qui gueulent à qui veut l'entendre quelle chatte ils ont fourré l'autre soir, pendus à leur clope et à leur smartphone. La mamie qui en finit pas de trébucher et de trembler, et que tout le monde bouscule sans regarder, parce qu'on a pas le temps, pas le temps de s'arrêter. Et puis ya les médias, les grandes affiches qui te violent les yeux en te criant que cette connasse d'actrice sexy a en fait plus de cellulite que ta grand-mère. Et les émissions de télé-virtualité où on sélectionne le rebus de l'humanité, les champions de l'ignorance, les boulimiques les plus avides de conneries, et où on les met sur des plages paradisiaques que tout le monde veut visiter. Histoire que chaque français moyen se sente bien rassuré, enfoncé dans sa graisse et dans son canapé, en se disant que même si elles sont belles ces plages qu'il verra jamais, lui au moins il est moins con que ceux qu'il voit à la télé. Et puis ya les radios qui te dégueulent dans l'oreille, avec une voix de femme sexy, des pubs récitées à la vitesse de la lumière, parce que tu paies  la seconde mon pote, alors la grognasse elle a intérêt d'articuler pour que ces connards comprennent que mon assurance auto c'est la meilleure enculade du monde. Les journeaux papiers, télévisés, virtualisés, qui te chuchotent de temps en temps en tout petits caractère que le monde court à sa perte, que la nature agonise et que les politiques sont nos marionettistes, qu'un bateau de réfugiés a fait naufrage, que des femmes se sont fait violées et des enfants massacrés, à raison d'un par seconde, tous les jours, pendant qu'on s'insurgeait contre la gifle de Joey Starr ou le coup de boule de Zidane. Et ces lycéens qui usent leur jeans faussement délavés sur le goudron de nos grandes places, en buvant du Jack-Coca et en fumant du shit déguelasse, en disant que le gouvernement nous encule.  Mais bien sûr qu'il nous encule, mais mon pauvre enfant, si tu savais à quel point, tu te contenteras pas de rester debout toute la nuit. Tu t'enfuierais, loin, très loin, et tu te débrouillerais pour te trouver une gentille fille avec qui t'accoupler, et avec qui tu élèverais un nouvel ordre d'être humain, au fond de la forêt, en autarcie et auto-suffisance, et je fous une grande claque dans la gueule de tout ceux qui me traiteraient de hippies quand je dis ça. Tu arrêterais de t'user les yeux sur des écrans, de t'user le cerveau avec des drogues de synthèse qui te font toucher un faux nirvana du bout des doigts, tu arrêterais d'aller courir en survêt de luxe pour faire genre t'es un sportif. Non, tu vivrais les mains dans la terre, tu te forgerais des muscles en acier qui ne disparaitraient jamais, façonnés par le soleil et par le travail au grand air. Les couleurs dominantes de ta vie seraient le bleu du ciel et le vert des arbres. Arrête d'essayer de changer la virgule en point, quand c'est tout le texte qu'il faut ré-écrire. On nous a promis toute notre vie qu'on était destinés à des avenirs extraordinaires, pendant qu'on nous prouve jour après jour que nous ne sommes qu'une masse informe de bouches et d'anus à remplir. La seule issue pour tous, c'est la mort. Conduisons-nous en êtres humains dignes de ce nom, et arrêtons de gâcher l'histoire et notre race dans des combats perdus d'avance. Le seul combat, c'est nous contre eux. Dans le sens le plus large du terme.