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"I'll tell you all my secrets but I'll lie about my past."
31 décembre 2015

In your nightmares, in your dreams

Ses talons claquent sur le pavé. Petits pas rapides de biche pressée, mais elle garde son élégance altière, elle prend son temps dans sa précipation. Le talon se soulève lentement, elle laisse ses chevilles se courber gracieusement avant de reposer doucement la plante de ses pieds de danseuse. Son long manteau noir flotte autour d'elle. Chauve-souris mondaine, elle marche tête baissée. Un grand chapeau à larges bords cache son regard de toutes les âmes indiscrètes qui rôdent. Il fait nuit noire, aucune étoile dans ce centre ville jauni par la vieille lumière des réverbères. Décor de carte postale lugubre, les flaques d'eau reflètent vaguement les ampoules des sapins de Noël et les phares des rares voitures qui passent. Il n'y a pas âme qui vive dans cette rue sombre. Même les chats se cachent. Seule cette souris des villes, belle créature de la nuit, s'aventure à rentrer seule chez elle à cette heure tardive. Et je la suis. Je vois l'aura de peur qui transpire d'elle. Ca forme comme un halo de condensation terrifiée autour de son corps svelte qui se dilue dans l'obscurité des murs de pierre. Elle sait que je suis là, elle sent que je la suis. Elle reste fière et digne, austère et séductrice, elle essaie de me narguer, je sens qu'elle sait qu'elle va mourir, et elle sait que je la sens. La panique se dissimule profondément dans la hâte de ses pas de reine. Je m'approche, un peu plus près, je vois sa tête se tourner légèrement, et j'aperçois une bouche entrouverte, suave, le temps d'une fraction de seconde, essoufflée et effrayée. Je sens l'adrénaline prendre lentement possession de mon esprit, puis de mon corps. Je m'approche. Le visage enfoncé dans mon écharpe, je m'approche. Mes pas feutrés effleurent le pavé, je pose mes pieds exactement là où les siens sautillent de nervosité maîtrisée. Je sens sa chaleur émaner d'elle comme un nuage de buée dans un hammam. Elle a peur, sa beauté inébranlable se craquèle peu à peu, et laisse place à une panique de biche effarouchée. Plus elle prend peur, plus elle est belle. Alors je m'approche encore. Je tends le bras, et elle tente d'esquisser un geste de recul, mais il est trop tard, ma main est ferme, autour de son bras. Je la serre, je sens mes doigts s'enfoncer dans sa chair tendre, à travers les tissus. Sa tête se relève enfin, et ses yeux me frappent de plein fouet, deux lueurs éclatantes où brillent de mille feux la lumière chaude des lampadaires et la frayeur insoutenable de la vue de sa propre mort. Elle me regarde. Elle me voit, et elle comprend. Sa bouche forme un joli cercle plein de stupeur et d'innoncence violée, et elle me fixe de ses grandes billes pleines de désarroi. Elle a compris. Je pensais qu'elle se débattrait, qu'elle hurlerait, qu'elle tenterait tant bien que mal de courir après sa vie en s'enfuyant à toutes jambes. Mais non. Elle se contente de me regarder droit dans les yeux, droit dans la mort. Elle fait face à sa perte et je vois un soulagement morbide dans le noir de ses pupilles. Déstabilisé, je relâche mon étreinte et soudain c'est moi qui me noie dans son regard. Elle perd de sa chaleur, la condensation de sa peur, l'aura de sa frayeur se dilue dans le froid de l'atmosphère. Elle me regarde. Glaciale, prête à tout, elle me défie. Elle sait, et elle le veut. Je ne voulais pas qu'elle le veuille, je n'ai même jamais imaginé qu'on puisse regarder la mort en face avec autant de désir. Alors pour la première fois, je suis face à quelqu'un qui désire la mort, qui me désire moi, qui m'attendait. Quelqu'un qui m'attendait et me désirait. Je comprends enfin. Elle est glaciale, et c'est moi qui meurs de chaud, je me sens suer par tous les pores, je constate cette beauté froide et nocturne, et je me liquifie. Je veux fondre en elle. Alors je fonds sur elle. Mon sang brûlant de pulsions inassouvies, qui porte en lui le feu de la mort et du mal, se mélange à son sang froid de fantôme blessé, et un orage éclate entre nos deux corps qui s'entrechoquent. Et nos deux esprits s'épousent dans une ultime communion macabre. 

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