Rendez-vous avec un fantôme

Le vent de novembre s'engouffre sous mon écharpe et chatouille ma gorge. J'arpente les rues pavées, groudronnées, cabossées. Je glisse sur les feuilles mortes trempées, je vacille sur les pavés, je marche dans les flaques, jusqu'à en sentir mes pieds brûler. Le doute et le suspense s'étreignent dans mon coeur, pourtant mon pas est sûr et déterminé, rapide et franc. Je fais le tour des mêmes rues tous les jours, donne des rendez-vous dans tous les cafés, tous les bistrots, tous les pubs qui gravitent dans mon hyper-centre à moi. Je profite du paysage urbain, je souris devant le spectacle touchant, étonnant, ou drôle, que m'offrent certains passants. Je déguste verres de vin et thés vert, en discutant allégrement des petites et grandes chose de nos existences, débats agrémentés par des touches d'amour et d'amitié lâchés en fin de gorgée. Mais malgré cette folle activité, physique, cérébrale, et émotionnelle, j'ai tout le corps et l'esprit sur le qui-vive, mes yeux font sans cesse des 180° autour de mon centre d'attention. J'ai le ventre qui fait volte-face toutes les cinq minutes, je me retourne dans la rue en passant devant un bar, ou déplace ma chaise quand je suis en terrasse, pour parfois apercevoir quelqu'un dont l'aura semble particulièrement lumineuse. Quelqu'un de très différent de moi, qui fréquenterait les mêmes endroits mais ne lirait pas tout à fait les mêmes livres. Qui écouterait à peu près les mêmes artistes, mais en détesterait d'autres que j'apprécierais. Un artiste qui n'aurait rien à voir avec mon art. Quelqu'un qui aimerait autant que moi sortir et voir des gens, mais qui ferait des choses différentes avec eux. Mais avant tout quelqu'un qui partage la même passion que  moi pour les instants les plus transcendants de nos vies. Quelqu'un qui sublîme chaque relation humaine par une passion créatrice mais parfois destructrice, quelqu'un qui n'aurait pas peur de me perdre. Qui aurait envie mais pas besoin de moi. Quelqu'un que je puisse dénigrer et adorer à ma guise, que je pourrai blesser sans risquer de le tuer, quelqu'un dont je n'aimerai pas tomber dépendante. Un jumeau qui aurait le même coeur, le même esprit que moi, mais pas la même histoire. Sans m'en rendre vraiment compte, je suis tous les jours, à chaque minute, aux aguets à tous les coins de terrasse, à attendre ce rendez-vous impromptu. J'ai rencard avec un fantôme.